Journaliste célèbre,
aussi à l’aise et talentueux la plume en main qu’à la radio ou à la télévision, Philippe Bouvard
est un gastronome et il observe, pour son Journal, ce qui se passe dans les restaurants.
Cela nous vaut quelques réflexions et même des morceaux d’anthologie vinaigrés qui
mettent les lecteurs en joie.
Qu’on en juge ! D’abord avec ce constat :
« La parité sera atteinte dans les grands restaurants lorsqu’à l’heure des
déjeuners d’affaires il n’y aura que des femmes dans la salle et qu’un homme officiera au
vestiaire. »
Et ce morceau épique et hilarant, inspiré par les voyages et les nombreuses activités
d’un des plus célèbres chefs français, Alain Ducasse :
« L’occupant de la table 42 bis du « Spoon » de Londres martela
nerveusement son assiette décorée d’un œil cacodylate avec sa cuillère en bois de
Pernambouc mercerisé : « Appelez-moi tout de suite le
patron ! »
« Le troisième maître d’hôtel appuya sur la touche « confidentiel » de
son portable, écouta puis rendit compte :
- Désolé, monsieur Ducasse se trouve actuellement dans l’avion qui relie son
« Spoon » de Tokyo à son « Bar et Bœuf » de Monte-carlo. Il ne sera
pas là avant le petit déjeuner.
- Il est inadmissible qu’un grand chef passe plus de temps dans les aéroports que dans
ses cuisines !
- Monsieur Ducasse auquel j’ai transmis vos doléances et qui est très désireux de vous
être agréable vous offre au choix un goûter arborigène en sa bastide de Moustiers ou ses œufs
pochés au gant de boxe dans son espace gastronomique de New York.
- Aurais-je alors une chance de le rencontrer ?
- Certainement. Vos escales techniques se superposeront durant une demi-heure à
Anchorage où il doit prendre au passage la gérance de la cantine des aides-bagagistes. Ce
sera son cent onzième restaurant.
- Je préférerais tenter ma chance au « Plaza Athénée » de Paris.
- Monsieur Ducasse n’y passera pas avant le 17 décembre à neuf heures et demie du
matin.
- C’est un peu tôt pour le déjeuner.
- Monsieur Ducasse passe tous les ans le 17 décembre à neuf heures et demie du matin
afin de surveiller personnellement l’épluchage des scorsonères bleues de Thaïlande.
- Il m’attendra bien jusqu’à midi !
- Impossible, il doit dessaler ses additions américaines puis visiter son auberge de la
Celle avant de rallier en hélicoptère son « Louis XV » du Rocher. Mais pourquoi
désirez-vous tant le voir ?
- Je voulais lui demander pourquoi chez lui le poisson est cru, les légumes pas assez
cuits et les frites toujours absentes.