Royaliste, polémiste, excellent et
virulent mémorialiste, caricaturiste de génie avec une culture exceptionnelle, gourmand et
gourmet dans le style comme à table, le truculent Léon Daudet publie de temps à autre – sans
doute pour se distraire des analyses et des combats politiques – de superbes et tonifiants
articles sur la gastronomie.
Un petit livre intitulé « A boire et à manger » vient de paraître, qui en
rassemble quelques-uns (et non des moindres).
Une bonne occasion de « picorer » parmi les formules plus savoureuses et
plus pertinentes les unes que les autres…
Elles ne vieilliront pas, même si certaines, ce qui est normal, sont
« datées ».
Mais laissons la plume à Léon Daudet.
« Nous assistons actuellement (1927) à un renouveau de la cuisine française.
J’entends de la cuisine régionale (…). A Paris même ont champignonné, depuis la guerre
(14-18), d’excellents restaurants auxquels je reprocherai seulement une tendance à la
complication croissante. Il n’est de bonne cuisine que simple. Je n’admettrai jamais, sous
couleur de cuisine régionale, ce que j’appelle trop rudement peut-être, mais à bon escient, des
« vomis de chien riche », c’est-à-dire des mélanges de goût, des complexes
comme dit Freud. Un poisson doit demeurer un poisson. Une mayonnaise est une mayonnaise.
Gare aux coulis trop riches, aux sauces trop perfectionnistes ! L’art classique, en cuisine
comme ailleurs, ne saurait être dépassé. En cuisine, il n’y a pas de progrès, il n’y a que des
abandons, des oublis ou des déchéances. »
« La cuisine saine, et même délicieuse, n’est pas une affaire de rentes ni de
capitaux. C’est une affaire de soin et de jugement, autant que des finesse de goût. Si j’avais
exercé la médecine, au lieu de m’adonner à la politique et aux lettres, j’aurais bien souvent
dirigé des menus en place d’ordonnances, recommandé certains plats et certains vins au lieu
de spécialités pharmaceutiques. Que de gastrites, de gastro-entérites, de troubles hépatiques,
pancréatiques, etc…tiennent à une mauvaise alimentation, à une huile défectueuse, à un
beurre maussade ou artificiel, à un vin fabriqué ! »
« Rien de trop ! La satiété est l’ennemie de la véritable gourmandise, et il
serait fâcheux qu’un excellent déjeuner nous gâtât la perspective enchanteresse du dîner
suivant. »
« A ceux qui trouveraient frivole la parure gourmande de la France, je répondrai
que la table, du pain au vin, fait partie de la culture et de la civilisation générales, au même
titre et plus profondément peut-être que la musique – même et surtout symphonique – qui va
d’accord avec une certaine barbarie. Alors que le BEAU symphonique est complexe et
incertain, et éveille en nous des régions troubles, le BON culinaire est apparenté au bon sens.
Il n’y a pas, il ne saurait y avoir de dérèglement, ni de romantisme, ni de wagnérisme
gastronomique. L’effort culinaire que l’on remarque actuellement un peu partout – et même à
paris, où l’on n’a jamais très bien mangé, en face de Lyon, ou de Marseille – cet effort, d’ordre
à la fois relevé, aristo et populaire, est un essai de retour au bon sens, aux règles (de cuisson
et de marinade), établies depuis toujours, et un signe de discernement. D’ailleurs, c’est simple,
pour désigner ce discernement, on dit « le goût », on ne dit pas
« l’ouïe », ni même « la vue ».
« Je définirais la civilisation comme un état tel, du côté spirituel, que l’homme n’y
aurait plus peur de la mort, et du côté matériel, que la pharmacopée y rejoindrait la
gastronomie. Vous allez me trouver terre à terre, si je vous dis que le véritable remède, c’est,
avec la bonne cuisine, le vin franc. L’alimentation est, dans la vie des peuples, comme dans
celle des individus, capitale. Le graillon, le vin frelaté, l’absence de vin et de pain aux repas,
les sauces toutes préparées – chose horrible ! – sont des formes de
barbarie. »
« Déguster une bouillabaisse avec un vin de Cassis, une matelote avec un vin
clair de Bourgogne, rouge ou blanc, une pochouse avec un petit beaujolais, devant un
coucher de soleil sur le Rhône, la Saône, la Loire ou la Seine, sans musique, sans tziganes,
sans danseurs, cela est le fait d’un civilisé. »
« Il est ironique de songer que tant de gens, riches mais mal renseignés, et qui
tiennent au dehors, non à la réalité des choses, vont s’enfourner les abominables
« espagnoles » et les chairs fades, molles, sans saveur des palaces, en un mot la
tambouille dite européenne, locarnienne, et surtout gastralgique, que leur servent des valets
cérémonieux, quand, à quelques pas de là, ils consommeraient, à bien moins de frais,
ce qu’il y a de meilleur et de plus rare dans la meilleure des cuisines du monde. D’ailleurs la
chose est fort bien ainsi, et il serait regrettable que les mufles dorés, dont regorgent nos
époques troubles, connussent les ravissements, allant jusqu’à l’esprit, d’un vin franc et d’un
pain fleurant la pure farine, avec un fromage blanc du terroir. »