Au début, c’est en amateurs qu’Arya et Ahmad écoulaient leur trésor : une boîte par ci, par là, de quoi faire plaisir aux amis. Petit à petit, ils se sont pris au jeu. Aujourd’hui, ils emploient cinq ouvriers et deux employés, et leur caviar s’envole régulièrement pour les quatre coins de la planète.
Pas seulement du caviar d’ailleurs : des oeufs de poisson (saumon, truite, hareng, poisson volant, lompe…), des Royal King Crabe, crabes géants venus en droite ligne d’Alaska, et aussi, dans le registre des épices, du safran, dont le frère de Ahmad possède des champs entiers en Iran.

Le Royal King Crabe et le safran: deux autres beaux produits de Caspian Tradition
Leur produit préféré reste cependant le caviar. Et pas n’importe lequel : le caviar sauvage. Même s’ils ont acquis la nationalité belge, Arya et Ahmad gardent la Mer Caspienne chevillée au cœur. Bien sûr, on trouve des esturgeons ailleurs que dans cette mer – en Chine ou aux USA, par exemple. Chez nous, au début du Moyen Age, l’esturgeon était un poisson servi à la table des rois. Et sous Louis XIV, il pullulait dans tous les fleuves d’Europe. Car l’esturgeon a la particularité de remonter les cours d’eau pour frayer en paix avant de revenir barboter dans la mer.
La mafia du caviar
Tous les connaisseurs concordent sur ce point : c’est dans la Mer Caspienne qu’on trouve les meilleurs esturgeons, et donc le meilleur caviar. Cela tient à la qualité des eaux, moins salées que celles d’autres mers, à l’alchimie particulière de cette mer fermée, la plus grande du monde, située entre la Russie et l’Iran.
Jusqu'en 1991, ces deux pays contrôlaient pratiquement tout le marché du caviar et réalisaient de lourds investissements pour surveiller et maintenir les stocks de poissons. Cela permettait d'identifier facilement la provenance de n'importe quel envoi de caviar. La disparition de l'URSS a sonné le glas de ce système et un grand nombre d'entrepreneurs traitant l’«or noir» se sont substitués aux entreprises d'Etat.
Aujourd’hui, seul l’Iran est habilité officiellement à fournir le caviar de la Mer Caspienne.
En dehors de l’Iran, quatre pays pêchaient l’esturgeon sur les rives de cette mer mythique : Azerbaïdjan, Kazakhstan, Russie et Turkménistan. Chacun d’eux devait lutter contre le braconnage, un problème récurrent, et montrer que ces plans de pêche étaient capables d’assurer la survie de l’espèce. Ils sont maintenant complètement hors course en raison de la situation chaotique du marché. Le droit de pêche ne leur est plus octroyé.
La «mafia du caviar» y tient donc le haut du pavé et écoule des produits qui ne sont pas toujours fiables.
Selon le WWF (Fonds mondial pour la nature), sur le millier de tonnes de caviar consommé par les Russes, 92 % sont issus du braconnage. Récemment, cette organisation tirait la sonnette d’alarme et lançait un avertissement aux Russes : « Vous ne voulez pas que vos enfants oublient à jamais le goût du caviar, alors arrêtez d’en acheter pendant six ans ».
Pas étonnant que, ces dernières années, les prix du caviar iranien aient atteint des sommets. L’année dernière, ils ont grimpé de 70% par rapport à l’année précédente, soit 6762 € pour un kilo de Beluga, le plus prisé. Et ils ont encore augmenté de 10% cette année.
Le caviar d’élevage iranien : l’espoir
Comment sortir de l’impasse? En pratiquant l’élevage d’esturgeons. Arya et Ahmad ont créé une ferme piscicole située presque à l’embouchure de la fameuse rivière Sefid Roud (la rivière blanche) vers laquelle les esturgeons remontent de la mer Caspienne pour y pondre leurs œufs.
Cette pisciculture s’étend sur une superficie de 8 hectares et contient 172 bassins dans
lesquels, pour l’instant , 24000 bébés esturgeons âgés de 6 mois à 2 ans et demi sont nourris régulièrement .

Un bébé esturgeon de l'élevage des Razavi
La raison majeure de cet important investissement à cet endroit résulte de la possibilité d’utilisation de l’eau de la mer Caspienne, porteuse d’éléments nutritifs nécessaires à la croissance ainsi qu’à l’immunité de ces espèces . De plus, dès qu’ils auront atteint l’âge acquis, ils seront transférés dans d’immenses cages, préparées à cet effet dans la mer, leur milieu naturel, afin d’y passer le restant de leur vie.
Il est primordial que ces poissons si précieux puissent vivre d’une façon la plus proche possible de leurs ancêtres afin de pouvoir assurer une qualité exquise des œufs tant convoités qui font la réputation du caviar iranien.
Il est à préciser que Caspian Tradition commercialise déjà un caviar d’élevage rigoureusement sélectionné en provenance de la Gironde en France et aussi d’Italie.
Deux fois le prix de l’or
Malgré tout, le produit vedette de Caspian Tradition reste le caviar Oscietra (cette année le Sevruga et le Beluga iraniens sont interdits par le CITES). Il continue d’arriver d’Iran conditionné en boîtes métalliques de 1 ou 2 kg. Toutes ces boîtes sont bleues et fermées par une bande adhésive jaune. Chaque boîte est enveloppée dans un filet plombé. Ces emballages sont ensuite rangés par trois dans des sacs en coton, plombés également. Les sacs sont transportés dans des caisses en bois et conservés dans les frigos de Caspian Tradition qui vient encore de s’agrandir d’un nouvel entrepôt, dans le zoning artisanal de Waterloo où la société est installée.
Le caviar de premier choix est devenu inaccessible pour le commun des mortels. Et les amateurs les plus fortunés ne le consomment plus qu’en petite quantité. Seules les très très grosses fortunes peuvent encore se permettre d’en servir à leurs invités. En Belgique, les clients de Arya et Ahmad Razavi comptent parmi les plus grands noms de la finance. Mais la Belgique ne représente que 20% de leurs ventes. Ils s’adressent surtout à des banquiers suisses, des émirs arabes ou des tycoons chinois. Dernièrement ils ont mis en vente 5 kilos de caviar blanc, provenant d’un esturgeon albinos – le plus rare, donc le plus cher. Ils ont même appris que trois kilos de ce mets divin ont abouti sur la table d’un nouveau milliardaire de Shanghai, qui l’avait acheté pour la modique somme de 23 000 € le kilo. Soit deux fois le prix de l’or.
Marcel Godfroid
Photos Catherine Linkens
Caspian Tradition
Avenue des Pâquerettes, 55, 1410 Waterloo
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