Pour une femme, porter des hauts talons peut, à la longue, faire mal aux articulations.
Mais des chercheurs britanniques nous rassurent : les hauts talons, outre des avantages esthétiques, font aussi travailler les muscles du plaisir.
La gastronomie, elle, affine, c’est bien connu, les sens du plaisir.
Mais que devient la gastronomie ?
On assiste aujourd’hui à une petite guerre des chefs, une querelle de ménage entre disciples de Ferran Adria et partisans d’une cuisine classique revisitée : le ris de veau aux écrevisses, les crépinettes de pied de porc telles que les prépare un chef triplement étoilé, le blanc de Saint-Pierre façon Dugléré, poché dans fumet de poisson et vin blanc, sur lit d’échalotes ciselées, persil haché, servi avec le bouillon réduit et monté au beurre du « Jules Verne », de Paris, supervisé par Alain Ducasse, ou le merveilleux merlan Colbert de Robuchon.
Comme l’a écrit un de nos confères parisiens : « Plutôt que guirlandes, jets de sauce, paillettes dans l’assiette, savoir cuire une côte de veau rosé est un critère de métier. »
Un des critiques gastronomiques les plus connus d’Espagne, Rafael Garcia Santos, est un des plus chauds partisans de la cuisine d’avant-garde. Il critique vertement les jeunes cuisiniers français qui, dit-il, sont formidables « mais le principal ennemi de la France, c’est sa structure économique et sociale. On ne peut pas être performant en travaillant 35 heures avec une TVA à 19,6 %. Les cuisiniers français préfèrent vivre sur leurs acquis et refusent de prendre des risques en faisant évoluer leur cuisine. »
Ce n’est pas tout à fait vrai. Nos recettes favorites ont souvent un goût de nostalgie.
Et n’est pas Ferran Adria ou Pierre Gagnaire qui veut ! Méfions-nous des imitations ! Les grands artistes de la cuisine sont rares. Comme Mozart, Bach ou Beethoven…
Les réactions ne manquent pas.
Dans « Le Monde », récemment, Frédy Girardet, qui s’imposa comme un des meilleurs cuisiniers du monde à Crissier, en Suisse, insistait sur l’urgence « d’arrêter avec les goûts brouillés des plats d’avant-garde concoctés par ceux qui usent de gélifiants, d’ antioxydants et d’épaississants et qui confondent art moderne et restauration. »
On peut admirer les travaux d’Hervé This, le célèbre scientifique (auteur de nombreux ouvrages) qui a analysé les phénomènes de cuisson et expliqué pourquoi un bouillon doit être salé à la fin et non au début, comment on peut faire 24 litres de mayonnaise avec un seul œuf, pourquoi l’aspartame est déconseillé en cuisine, qui nous a prouvé qu’on peut saler un steak avant, pendant ou après, ou indiqué comment faire une crème glacée instantanée.
C’est précieux.
De là à ne jurer que par l’azote liquide…
Qui mieux qu’un grand cuisinier, au talent affirmé, peut aujourd’hui magnifier une vraie tête de veau en tortue, un sauté de veau Marengo, ou un tendron de veau fermier à l’ancienne ?
Cuisine de brasserie ? Oui, mais souvent ignorée ou galvaudée avec des produits mal choisis, en un mot : indignes.
Rien de meilleur qu’un homard breton au court-bouillon servi tiède avec une vraie mayonnaise ou chaud avec un beurre blanc. Le servir en gelée avec une chantilly au wasabi, est-ce plus savoureux ?
La cuisine doit être joyeuse.
Elle peut être ménagère, classique, de bistrot, de terroir, moléculaire… Il en faut pour tous les goûts et toutes les envies.
Nous ne prenons pas parti.
L’essentiel est de s’amuser à table. Le plus gros problème des gens, c’est l’ennui mortel.
Il n’y a, au fond, que deux cuisines : la bonne, qui suscite du plaisir, et la mauvaise, qui fait fuir les gens de goût.
Jacques Kother